Ливия. И дивизионный генерал Венсан Депорт сказал…
"La stratégie d’attente de Kadhafi pourrait être gagnante" Alexandre Duyck - Le Journal du Dimanche samedi 09 juillet 2011
Près de quatre mois après les premières frappes françaises contre les chars de Kadhafi, à Benghazi le 19 mars, où va la guerre en Libye? Saint-cyrien, le général de division Vincent Desportes a dirigé l’École de guerre de 2008 à l’été dernier. En juillet 2010, à 56 ans, il a été sanctionné par le ministre de la Défense pour avoir publiquement critiqué la façon dont était conduite la guerre en Afghanistan. Connu pour sa liberté de parole, le général Desportes estime que la guerre en Libye a été lancée dans des conditions hasardeuses et qu’il est "temps de trouver un compromis avec les autorités libyennes". Extraits de l'entretien à paraître dans le Journal du Dimanche.
Во Франции много генералов, и почти все они, выйдя в отставку, становятся военными экспертами и аналитиками. Но дивизионный генерал Венсан Депорт (в отставке с 2010 года) занимает среди них особое место. Он, - это общепризнанно и никем, даже коллегами не оспаривается, - виднейший военный теоретик сегодняшней Франции. Его сравнивают с Жомини, Вобаном, Фошем и другими светочами прошлых веков. А кроме того, пребывая на действительной, месье Депорт славился привычкой бодаться с политиками, если те, по его мнению, из своих узких клановых интересов подставляли армию. Кончилось это для него, в итоге, не совсем хорошо, но сегодня, как отметил недавно многознающий Жюльен Савиньи, "генерал Депорт, по сути, является выразителем молчаливого мнения всей корпорации". В связи с чем, его точка зрения на войну в Ливии заслуживает особого интереса. Конечно, было бы здорово прочитать полный текст интервью, но, увы, к Le Journal du Dimanche в "бумаге" у меня доступа нет, так что удовлетворимся сильно усеченной версией, размещенной на сайте. Пусть без подробностей, но главное все же сказано.
Почти четыре месяца назад французская авиация нанесла первый удар по танкам Каддафи, - и что же нынче творится на фронтах в Ливии? Дивизионный генерал Венсан Депорт, возглавлявший знаменитый Объединенный Военный Колледж с 2008 года, прошлым летом был в возрасте 56 лет уволен решением министра обороны за публичную критику методов ведения войны в Афганистане. Известный склонностью к независимым суждениями, генерал Депорт считает, что война была начата крайне необдуманно и что "настало время искать компромисс с ливийскими властями". Полный текст интервью см. в бумажной версии JDD.
Сейчас, почти через четыре месяца после начала наступление в Ливии, как Вы оцениваете ход войны?
Предполагалось, что все решится очень легко. Мы начали войну в Ливии, как американцы в Ираке в 2003-м, как Израиль против Хезболлы в 2006-м, в полной уверенности, что нашей силы вполне достаточно, чтобы добиться всего и получить желательные политические результаты. Я удивлен, почему мы с таким трудом учим уроки истории. Невозможно играть на быстрый выигрыш без наземного вмешательства (для которого у нас, в любом случае, нет войск).Начав войну, мы все время надеялись, что ежедневных, постоянно усиливаемых бомбежек достаточно, чтобы прогнать Каддафи. Но история показывает, что так не бывает. Мы опять забыли, что невозможно добиться прочного политического эффекта, используя только военно-воздушные силы.
А на какой срок может еще затянуться эта война?
Я, как и все, надеюсь, что Каддафи падет, лучше всего, прямо завтра. Но я не уверен, что время играет в пользу коалиции. Стратегия выжидания может, в конце концов, принести победу Каддафи. В первую очередь, из-за военных издержек. Мы уже вынуждены клянчить боеприпасы у Германии, поскольку свои практически кончились. Я не думаю, что коалиция - в основном, мы и британцы, сможет продолжать боевые действия еще сколько-то долго, если только в ближайшее время не будет получен явный политический результат. Еще пару месяцев максимум, и мы скиснем. Конечно, если вдруг повезет попасть прямо в Каддафи, победа обеспечена, но если нет, победить можно только развернув наземное наступление силами нескольких десятков тысяч человек, что, откровенно говоря, нереально. Я имею в виду городскую войну, ближний бой, схватку лицом к лицу, без которой о Триполи не стоит и мечтать.
Не пора ли начать переговоры с Каддафи?
Я не решаю эти вопросы, но я уверен, что настало время искать компромисс с ливийскими властями. При этом, конечно, следует бомбить и дальше. Бомбежки могут быть важным элементом переговоров.
putnik1.livejournal.com
Полный французский текст:
lejdd.fr
"La stratégie d’attente de Kadhafi pourrait être gagnante"
Près de quatre mois après les premières frappes françaises contre les chars de Kadhafi, à Benghazi le 19 mars, où va la guerre en Libye? Saint-cyrien, le général de division Vincent Desportes a dirigé l’École de guerre de 2008 à l’été dernier. En juillet 2010, à 56 ans, il a été sanctionné par le ministre de la Défense pour avoir publiquement critiqué la façon dont était conduite la guerre en Afghanistan. Connu pour sa liberté de parole, le général Desportes estime que la guerre en Libye a été lancée dans des conditions hasardeuses et qu’il est "temps de trouver un compromis avec les autorités libyennes". Entretien.
"Il est impossible de produire des effets politiques durables par le recours à la seule arme aérienne", juge le général de division Desportes. (Reuters)
Près de quatre mois après le début de l’offensive en Libye, quel regard portez-vous sur la façon dont est conduite cette guerre ?
On a cru que cette guerre serait une entreprise facile. Nous sommes partis en Libye comme les Américains en Irak en 2003, ou Israël face au Hezbollah en 2006, en estimant que notre puissance létale suffirait aisément à produire des résultats politiques… Je suis surpris par la difficulté qu’ont les nations à retenir les leçons de l’Histoire. Le pari risqué de gagner très rapidement, sans avoir à engager de troupes au sol (dont de toute façon nous ne disposons plus en nombre suffisant) ,n’a pas fonctionné. Depuis le début de cette guerre, on espère chaque jour que de simples actions supplémentaires de bombardement suffiront à faire tomber Kadhafi. Or, l’Histoire nous montre que ça ne marche pas. Nous avons à nouveau oublié qu’il est impossible de produire des effets politiques durables par le recours à la seule arme aérienne.
Que s’est-il passé ?
Les guerres sont souvent déclenchées sans analyse stratégique suffisamment approfondie, ce qui explique qu’elles échappent presque toujours à ceux qui les ont décidées. Dans le cas de la Libye, il n’est pas impossible que l’on ait confondu guerre et maintien de l’ordre. La puissance militaire a été utilisée comme une compagnie de gendarmes mobiles, en oubliant que la guerre obéit à des logiques très différentes des opérations de police sur le territoire national. L’objectif initial de la coalition (une zone d’interdiction aérienne et la protection des populations de Benghazi) était parfaitement réalisable. Mais dès lors que l’on s’est lancé dans une démarche de nature politique, à savoir la chute de Kadhafi, on s’est engagé dans un processus très ambitieux par rapport aux moyens que l’on pouvait déployer. Mon impression est que la réflexion stratégique initiale a été imparfaite : sur la finalité possible de l’intervention, pour le moins ambiguë ; sur les capacités politiques et militaires de la rébellion, que nous avons surestimées ; sur la force et la résilience des pro-Kadhafi, que nous avons sous-estimées ; sur cette insurrection générale que nous espérions et qui ne s’est jamais déclenchée. Je ne parle même pas de "l’après-Kadhafi", qui va être extrêmement compliqué et dont, forcément, nous allons être responsables pendant des années.
Quand vous dites "insuffisance d’analyse", qui visez-vous ?
Si l’analyse stratégique avait été conduite à son terme, plus de cent dix jours et plus de 110 millions d’euros après le début de l’offensive, nous ne serions pas dans une situation si délicate et incertaine. Il est évident que le souci de protéger la population de Benghazi a été déterminant dans la prise de décision. Mais il est aussi évident que les considérations de politique intérieure ont compté. Il semble subsister en France, parfois à très haut niveau, une méconnaissance de ce que sont vraiment la guerre et la stratégie.
Il n’y a pourtant pas eu de débat au sein de la classe politique française…
Je regrette qu’il n’y ait pas eu en France un débat comparable à celui qui, aux États-Unis, a vu s’affronter le Pentagone, qui s’opposait à la participation américaine, et le Département d’État. Puis le président Obama a tranché. Ce débat critique a manqué en France. Quant à l’opinion, elle perçoit mal la réalité de ce conflit. Elle ignore le coût et les répercussions que ces dépenses ont, et auront, sur l’outil de défense. Mais les Français risquent de se lasser de ce qui pourrait apparaître un jour prochain comme un bien onéreux enlisement. Certains officiers de haut rang expriment déjà leurs craintes : souvenez-vous des récentes déclarations de l’amiral Forissier, chef d’état-major de la marine *. Les circonstances et les choix politiques conduisent le gouvernement français à prendre de plus en plus souvent la décision d’engager les forces françaises à l’extérieur alors que le budget de nos armées est, lui, en diminution. Il faut choisir : si on décide de réduire l’effort de défense, il faut se résoudre à voir diminuer nos capacités d’influence sur les affaires du monde.
La France pourrait-elle être toujours engagée en Libye au-delà de la fin 2011 ?
Cette hypothèse me paraît ridicule.
Combien de temps cette guerre peut-elle encore durer ?
J’espère, comme tout le monde, que Kadhafi tombera demain. Mais je ne suis pas sûr que le temps joue en faveur de la coalition. La stratégie d’attente de Kadhafi pourrait finir par être gagnante. En particulier en raison du poids de notre effort de guerre. Nous faisons déjà appel à l’Allemagne pour compléter nos stocks de munitions, qui s’amenuisent. Je ne pense donc pas que la coalition – essentiellement franco-britannique – puisse poursuivre longtemps cet effort s’il ne produit pas au plus vite un effet politique clair. C’est l’affaire de quelques mois, tout au plus. Pour l’emporter rapidement, sauf coup de chance (le coup au but sur Kadhafi), il faudrait une offensive terrestre forte de plusieurs dizaines de milliers d’hommes, ce qui est strictement impossible. On parle ici d’une guerre des villes, de combats rapprochés, une guerre de soldats forcément meurtrière, pas de raser Tripoli.
La Libye, nouveau bourbier après l’Irak et l’Afghanistan?
Nous aurions pu nous contenter d’arrêter les blindés à Benghazi puis entrer dans une phase de négociations : en Afghanistan, si nous nous en étions tenus à l’objectif fixé en 2001, nous n’en serions pas là. La plus grande coalition de tous les temps aura probablement du mal à empêcher les talibans de reprendre finalement le pouvoir. Nous sommes désormais en Libye dans une situation difficile et une démarche d’escalade; nous avons détruit presque tout ce qui devait l’être, puis nous avons engagé nos hélicoptères, puis livré des armes aux rebelles. Hélas, parachuter des armes, ce n’est pas former une armée capable de prendre Tripoli.
Est-il temps de négocier avec Kadhafi?
Je ne suis pas aux affaires mais je suis persuadé qu’il est temps de trouver un compromis avec les autorités lybiennes. Mais pas forcément d’arrêter immédiatement les bombardements. Cette possibilité devra faire partie des éléments de négociation.
Arrêter la guerre, sans être parvenu à faire tomber Kadhafi?
Voyez l’Afghanistan. Barack Obama a eu raison de reprendre les choses en main. La poursuite de l’escalade n’était ni raisonnable ni souhaitable. Le président américain a fait preuve de courage politique. Le principe même de la stratégie, c’est de réfléchir au deuxième coup au moment où vous tirez le premier. J’ai le sentiment que le deuxième coup n’a pas été suffisamment préparé. Mais à l’heure qu’il est, nous ne pouvons plus attendre indéfiniment que le régime de Kadhafi tombe. Il est temps de trouver un compromis politique.
* Le 10 juin dernier, l’amiral Pierre-François Forissier, chef d’état-major de la marine nationale, a déclaré : "Nous consommons de façon intensive un potentiel qui aurait dû être consommé de façon régulière tout au long de l’année."
Alexandre Duyck - Le Journal du Dimanche
samedi 09 juillet 2011
de quel droit la france se donne t elle le droit de faire tomber des presidents en afrique?
encore une fois, le général Desportes, brillant général de l'armée de terre, se fait le défenseur de l'option fantassin, check point, quadrillage du terrain, encerclement des villes... il n'y a là rien de neuf et ce que ne dit pas le général, c'est que cette configuration entrainerait des coût, humains et financiers, sans commune mesure avec les coûts actuels.
la guerre en lybie est pas du tous judicieuse.d une part cela va retarder le developpement du continent . D autre part l apres kadhafi fera surgir des nouveaux ben laden plus redoutale et dont l unique motivation serait de faire payer les auteurs de la chutte du guide lybien
12 июля Национальная ассамблея и Сенат Франции примут решение, продолжать ли войну против Ливии или нет
Libye, une guerre qui dure
Cent quatorze jours de guerre en Libye. Condamnée à attendre que les rebelles fassent tomber le régime de Kadhafi, l’armée française prend son mal en patience. À Paris, cette guerre plus longue que prévue contraint le gouvernement, comme l’y oblige l’article 35 de la Constitution en cas d’intervention militaire supérieure à quatre mois, à soumettre une demande de prolongation au Parlement. Le débat sera suivi d’un vote 12.07. à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Comme le 22 mars lors de la précédente discussion, les parlementaires devraient soutenir l’intervention française. À l’exception des élus communistes et peut-être de quelques socialistes et écologistes. François Fillon défendra successivement devant les députés puis les sénateurs la position du gouvernement. "C’est un vote de responsabilité, très important. Il est normal que le Premier ministre soit en première ligne", indique-t-on à Matignon.
Une voie dangereuse
"Cette tragédie se déroulait à deux heures des côtes françaises, nous ne pouvions pas resterles bras croisés. Notre intervention a réussi et les populations civiles sont désormais protégées", confie au JDD Gérard Longuet, le ministre de la Défense. Qui rappelle toutefois que le mandat de l’ONU n’a pas pour but de renverser le régime de Kadhafi. "Nous savons très bien que Kadhafi a les moyens de tenir Tripoli. C’est à l’opposition de s’organiser. Je trouve que la rébellion est extrêmement courageuse."
Une position évidemment partagée par Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée. "Ce serait incompréhensible de se désengager aujourd’hui au moment où notre action commence à porter ses fruits. Les rebelles ne sont plus qu’à 50 km de Tripoli." Le socialiste Bernard Cazeneuve, député-maire de Cherbourg et spécialiste des questions de défense, dit à peu près la même chose : "Le PS a souhaité le premier cette intervention pour sauver Benghazi. Nous sommes un parti de gouvernement cohérent donc nous voterons pour la poursuite. Ce serait absurde d’arrêter maintenant!" Cela ne l’empêche pas d’émettre des "réserves", notamment au sujet des parachutages d’armes et du financement d’une guerre qui a déjà coûté 160 millions d'euros. Cette semaine devant le bureau national du PS, Cazeneuve n’a pas fait l’unanimité. Henri Emmanuelli et Guillaume Bachelay ont voté contre son rapport.
Mardi, l’opposition viendra des communistes. "On est devant une escalade avec des bombardements, l’envoi d’hélicoptères et des parachutages d’armes. La voie militaire est dangereuse, argumente Roland Muzeau, député PC des Hauts-de-Seine. Nous souhaitons que le régime de Kadhafi, pourri et indéfendable, soit renversé. Mais la diplomatie doit reprendre ses droits."
Combien de temps durera encore le conflit? "Tout peut basculer à tout moment", espère Longuet. À l’Élysée, on parie sur un dénouement rapide. Tenu au courant de l’évolution de la situation vingt-quatre heures sur vingt-quatre, Nicolas Sarkozy se rendra mardi à l’hôpital militaire de Percy pour rencontrer des soldats blessés en Afghanistan. L’occasion de rendre hommage, à la veille du défilé du 14-Juillet, à tous les militaires présents sur les théâtres extérieurs où la France est engagée.
Bruno Jeudy - Le Journal du Dimanche
samedi 09 juillet 2011
"La guerre coûte 160 millions d’euros"
Ministre du Budget, Valérie Pécresse déclare au JDD que "le coût de l’intervention en Libye s’élève à ce stade à 160 millions d’euros". Ajoutant : "Le budget de la Défense est de 40 milliards. Nous pouvons l’absorber." Il n’en reste pas moins que la somme de 630 millions provisionnée par le ministère de la Défense pour l’ensemble des opérations extérieures en 2011 (Afghanistan, Côte d’Ivoire…) a bel et bien explosé. Le socialiste Bernard Cazeneuve estime que les dépenses réelles seront de l’ordre de 1,2 milliard. "Le conflit est aérien et entraîne des dépenses en personnel et en munitions assez lourds. L’ONU sollicite beaucoup la France. Mais mathématiquement, on devrait pouvoir faire face grâce aux redéploiements annoncés par le chef de l’État en Afghanistan et en Côte d’Ivoire, où nos contingents vont diminuer", répond Gérard Longuet. B.J.
Aller simple pour Benghazi
REPORTAGE. Ambassadeur de France auprès des rebelles, Antoine Sivan a accepté, pour la première fois, d’être suivi au quotidien à Benghazi. Une mission risquée au cœur de la révolution.
Telle une étoile à cinq branches, les hommes du GIGN se déploient dans la rue pour entourer le diplomate, occupé à passer un coup de fil. Lundi, un nouvel attentat à la voiture piégée a été déjoué à Benghazi. Les derniers pro-Kadhafi rêvent de mettre la ville à feu et à sang. Ambassadeur de France auprès de la révolution libyenne, Antoine Sivan sait qu’il constitue une cible de choix : "S’ils peuvent me dégommer, ils le feront." Le diplomate ne circule qu’à bord d’un véhicule blindé et toujours sous escorte. Interdiction de photographier ou de localiser l’adresse de la maison entourée de hauts murs qu’il partage avec les gendarmes du GIGN.
C’est sur la grande table du salon que tous les soirs, durant plusieurs heures, Antoine Sivan relit les notes prises dans ses petits carnets rouges puis envoie ses câbles diplomatiques à Paris et à diverses ambassades françaises à travers le monde. Quand Internet fonctionne (toujours très lentement) et que sa femme de ménage n’a pas débranché son système de transmission cryptée pour passer l’aspirateur.
Un culte à la France
En mars dernier, la France fut la première nation à reconnaître le Conseil national de transition (CNT) comme incarnation officielle de la nouvelle Libye. Dans la foulée, Paris décida d’envoyer à Benghazi un "envoyé spécial", diplomate n’ayant pas rang d’ambassadeur (Benghazi n’est pas la capitale) mais considéré comme tel. Ancien ambassadeur de France au Qatar, acteur de la réouverture de Bagdad en pleine guerre en 2003, Antoine Sivan est un diplomate de terrain cachant bien son jeu. Allure un peu guindée, costumes stricts seulement décorés d’un pin’s (le drapeau français et le nouveau libyen entremêlés) acheté à un vendeur ambulant, pas un mot plus haut que l’autre… Aimable et courtois, l’homme n’est pas du genre à courir en short le long des trottoirs défoncés de Benghazi ou à conter ses faits d’armes en tirant sur un cigare. Sollicité par le directeur de cabinet d’Alain Juppé, il a consulté sa famille, rempli deux valises et s’en est allé. En route pour Benghazi via Le Caire, plus de quinze heures de route à travers le désert avec en poche un aller simple, nul ne sachant quand s’achèvera la révolution libyenne. Trois mois et demi ont passé depuis, "l’ambassadeur" n’en peut plus des gigantesques pizzas que ses gardes du corps et lui avalent à longueur de journée mais tombé amoureux de la Libye, il parie sur la victoire finale de ces gens en armes qu’il préfère appeler révolutionnaires plutôt qu’insurgés ou rebelles. Même s’il reconnaît que le temps presse. Quand deux de ses homologues européens assurent discrètement que "plus le temps passe, plus les choses se compliquent et qu’il ne faudrait pas que cette intervention vire au cauchemar pour l’Europe et l’Otan, et à la catastrophe pour les Nations unies", Sivan est contraint d’acquiescer.
Par elle sauvée de la destruction, Benghazi voue un culte sans limite à la France. Son représentant, qui parle couramment l’arabe y est célébré tel un héros. Revers de la médaille, il y est aussi vu tel le Messie. Mais le Messie, qui n’a pas réponse à tout et travaille seul, sans le moindre personnel (deux diplomates devraient arriver à la fin du mois), peut décevoir des interlocuteurs trop exigeants ou naïfs. Rendez-vous avec les "ministres" de la Culture puis de l’Éducation du CNT. S’il faut user de guillemets, c’est "qu’officiellement, ils ne sont pas plus ministres que moi ambassadeur" souligne Sivan. Avec le premier, qui évoque l’ouverture d’un centre culturel français promise par Paris, il faut mettre les points sur les "i". Le lieu proposé a complètement brûlé avec les bombardements. Sivan : "J’y suis allé, faut tout refaire. On veut bien fournir le personnel, les livres, les films, le matériel de projection mais il faut nous trouver un endroit correct. Vous comprenez?" Avec le second, qui réclame la refonte de tous les matériels scolaires ainsi que la remise à niveau, par Paris, des 120 professeurs de français que compte la région, il convient aussi d’être ferme, tout en marchant sur des œufs. L’art de la diplomatie, en somme. "Donnez- moi une liste de 30 professeurs et je verrai comment les faire venir en France pour une formation." Et pour les visas? Dépourvu de services consulaires, Sivan contactera ses homologues du Caire et de Tunis, comme il l’a fait pour des archéologues ou des constitutionnalistes récemment reçus à Paris. En échange, il demande comment immatriculer les deux 4 x 4 blindés que Paris doit lui fournir. Il s’enquiert aussi du sort du gardien du cimetière militaire français de Tobrouk, qui n’a pas été payé depuis trois mois…
Sollicité de toutes parts
Parlons crûment mais franchement : observateur plongé au cœur de la révolution, Sivan prend son pied dans la bien peu riante Benghazi. En attendant de voir Kadhafi tomber et d’être peut-être officiellement nommé à Tripoli, l’envoyé spécial vit l’Histoire en direct. À tout interlocuteur qui l’interroge telle la Pythie, il répond : "Trouvez votre voie. Mais il y aura des règles à respecter quand Kadhafi sera parti. Pas de vacance du pouvoir ; une première assemblée non élue chargée de rédiger un projet de constitution qu’il faudra soumettre au peuple par référendum ; une justice ferme à l’égard de ceux aux mains couvertes de sang, mais pas d’épuration. Quand vos brigades entreront dans Tripoli, prenez soin de ne pas effrayer les populations." Sivan rêve d’une victoire prochaine des révolutionnaires dans tout le pays. Il croit aussi en l’émergence d’une nouvelle Libye, idéalement placée entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie, un eldorado en devenir dont devraient rapidement se soucier les entreprises françaises.
"La France vit une histoire d’amour ici. À nous de savoir en profiter pour y faire découvrir notre culture, notre langue. Aux entrepreneurs français qui viennent me rencontrer, je dis aussi : “Ils n’ont pour l’instant pas d’argent alors n’espérez pas signer de contrat tout de suite. Mais mettez le pied dans la porte. Faites leur confiance.”" Answar al-Feyturi, ministre des Transports et des Communications, fait savoir qu’il n’est pas un jour "sans que je reçoive un e-mail ou un coup de fil des Chinois. Ils sont très intéressés par les futurs réseaux de communication. Ils nous proposent même de commencer les travaux tout de suite et de remettre à un an les premiers paiements." "Je fais passer le message tout de suite", rassure Sivan, tout en insistant sur la qualité du matériel français, bien supérieure au chinois… "Croyez-moi, je l’ai constaté en Irak." Le ministre a deux autres questions à poser : "Qu’en est-il du paquebot de Kadhafi à 1 milliard de dollars actuellement en cours de construction en France ? Où sont les Airbus commandés mais jamais livrés?" Tout à l’heure attaché commercial puis culturel, secrétaire, conseiller diplomatique, spécialiste de droit constitutionnel, historien, l’ambassadeur se fait cette fois-ci agent de voyages : "Je vais organiser votre venue à Toulouse et sur le site des chantiers navals. Alors, M. le ministre, quelles seraient vos disponibilités pour la semaine prochaine?"
Alexandre Duyck, envoyé spécial à Benghazi - Le Journal du Dimanche
samedi 09 juillet 2011
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